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Possibilités

 

Kelly fut à vrai dire surpris de dormir aussi bien. Ce n’était pas convenable, s’inquiéta-t-il, d’avoir ainsi dormi dix heures sans interruption après ce qu’il avait fait subir à Billy. C’était bien le moment d’avoir des scrupules, observa-t-il devant sa glace tout en se rasant ; et tardifs, qui plus est. Quand un individu s’amusait à faire souffrir des femmes et à fourguer de la drogue, il devait envisager les conséquences. Kelly s’essuya le visage. Il n’éprouvait aucun soulagement d’avoir infligé de la souffrance – cela, il en était sûr. Il ne s’était jamais agi que de recueillir les informations nécessaires tout en exerçant la justice d’une manière particulièrement appropriée. Mais être en mesure de catégoriser ses actions en termes familiers ne suffisait pas toutefois à faire taire sa conscience.

Il fallait qu’il aille quelque part. Après s’être habillé, Kelly sortit une bâche en plastique qu’il alla ranger dans le coffre arrière de son bateau. Il avait déjà fait ses bagages et le reste de ses affaires trouva place dans le salon principal.

Le voyage allait durer plusieurs heures, un trajet ennuyeux, effectué de nuit sur plus de la moitié du parcours. Mettant le cap au sud vers la pointe Lookout, Kelly prit tout son temps pour scruter la collection d’« épaves » qui longeaient l’île de Bloodsworth. Construits pour la Grande Guerre, les navires formaient une collection extrêmement bigarrée. Bâtis en bois ou parfois en béton – ce qui pouvait paraître étrange – ils avaient tous survécu à la première campagne d’attaque par submersibles mais n’étaient déjà plus viables commercialement dès les années vingt, quand les équipages de la marine marchande étaient devenus bien moins chers que ceux des remorqueurs qui sillonnaient régulièrement la baie de Chesapeake. Kelly remonta sur le pont et tandis que le pilote automatique réglait sa course vers le sud, il les examina à la jumelle, car l’un d’eux avait sans doute un certain intérêt. Il ne put toutefois noter le moindre mouvement et ne vit aucune embarcation parmi les marécages qu’était devenu leur cimetière marin. C’était prévisible. L’entreprise ne devait pas déborder d’activité, même si c’était une cachette habile pour le trafic auquel Billy prenait récemment encore une part active. Il obliqua vers l’ouest. L’affaire pourrait attendre. Kelly fit un effort délibéré pour changer le cours de ses pensées. Il allait bientôt intégrer une équipe, se retrouver de nouveau associé à des hommes comme lui. Un changement bienvenu, estima-t-il, au cours duquel il aurait tout le temps d’envisager sa tactique pour la prochaine phase de son opération.

 

*

 

Les agents en patrouille n’avaient reçu qu’un bref compte rendu sur l’incident avec Mme Charles mais leur seuil de vigilance s’était accru lorsqu’ils avaient eu vent de la méthode employée pour mettre un terme à la vie de son agresseur. Nul n’avait eu besoin d’avertissement supplémentaire. Les patrouilles automobiles se faisaient en majorité en binôme, même si certains officiers, poussés par l’expérience – ou par un excès de confiance – agissaient en solo, avec une décontraction qui aurait hérissé Ryan et Douglas s’ils les avaient vus opérer. L’un des agents s’approchait tandis que son collègue restait en retrait, la main négligemment posée sur son arme de service. Le premier agent relevait alors l’ivrogne et le fouillait, cherchant des armes et découvrant souvent des couteaux mais pas d’arme à feu – leurs possesseurs les mettaient au clou en échange d’argent pour s’acheter du vin ou, parfois, de la drogue. Dès la première nuit, onze individus répondant à ce signalement furent interpellés et identifiés, dont deux appréhendés pour leur attitude considérée comme suspecte. Mais en définitive, rien de concluant n’en sortit.

— Bon – j’ai découvert quelque chose, dit Charon. Sa voiture était garée dans le parking du supermarché, près d’une Cadillac.

— Quoi donc ?

— Ils cherchent un type déguisé en clochard.

— Tu te fous de moi ? demanda Tucker avec un certain dégoût.

— C’est bien la consigne, Henry, confirma l’inspecteur. Ils ont ordre d’agir avec prudence.

— Merde, renifla le dealer.

— Blanc, pas très grand, la quarantaine. Un type plutôt robuste et qui sait se remuer quand il le faut. Ils filent l’information au compte-gouttes mais à peu près au même moment où il intervenait dans une partie fine, deux nouveaux dealers se sont retrouvés refroidis. Je parie que c’est le même gars qui les élimine.

Tucker secoua la tête.

— Rick et Billy aussi ? Ça ne tient pas debout.

— Henry, que ça tienne ou non debout, c’est comme ça que ça se passe, vu ? Bon, t’aurais intérêt à prendre ça au sérieux. Quel qu’il soit, ce mec est un pro ! Tu piges ? Un vrai pro.

— Eddie et Tony, dit doucement Tucker.

— C’est ma meilleure hypothèse, Henry, mais ce n’est qu’une hypothèse. Charon quitta l’emplacement de parking.

Rien de tout cela ne tenait debout, se répéta Tucker en démarrant à son tour pour s’engager sur Edmondson Avenue. Pourquoi Eddie et Tony chercheraient-ils à… à quoi faire ? Merde, mais qu’est-ce qui se passait ? Ils ne savaient pas grand-chose de son trafic, au mieux son existence et le fait qu’il voulait qu’on le laisse opérer tranquille et qu’on lui laisse son territoire, tandis qu’il devenait peu à peu leur principal fournisseur. Pour eux, entraver son commerce sans avoir d’abord suborné sa méthode d’importation de la matière première n’était pas logique. Suborner… ce n’était pas le terme correct… mais…

Suborner. Billy était-il toujours en vie ? Et à supposer que Billy ait conclu un marché, sans que Rick soit dans le coup… une possibilité ; Rick avait été plus faible mais plus fiable que Billy.

Billy élimine Rick, emmène Doris et la planque quelque part – Billy sait y faire, pas vrai ? – mais pourquoi ? Billy avait établi le contact avec – avec qui ? Un petit salaud ambitieux, ce Billy, songea Tucker. Pas si malin que ça, mais ambitieux et brutal, ça, aucun doute.

Possibilités. Billy établit le contact avec quelqu’un. Qui ? Que sait-il ? Il sait où la marchandise est raffinée, mais pas comment elle entre… peut-être l’odeur, l’odeur de formaldéhyde imprégnant les sachets en plastique. Jusqu’ici, Henry s’était montré prudent de ce côté ; quand Eddie et Tony l’avaient aidé à emballer la marchandise lors de la phase de mise en route, Tucker avait pris la peine de revérifier tous les emballages, simple question de prudence. Mais pas pour les deux dernières expéditions… Bigre. Ça, c’était une erreur, non ? Billy savait en gros dans quel coin s’opérait le raffinage mais pouvait-il découvrir seul l’endroit précis ? Henry ne le pensait pas. Il n’y connaissait pas grand-chose en bateaux, d’ailleurs il appréciait modérément la navigation, et c’était un art qu’on n’apprenait pas si aisément.

Eddie et Tony s’y connaissaient en bateaux, espèce d’idiot, se rappela Tucker.

Mais pourquoi le doubleraient-ils maintenant, juste quand ça commençait à marcher ?

Qui d’autre avait-il froissé ? Bon, il y avait la bande de New York, mais il n’avait jamais eu de contact direct avec eux. Il avait envahi leur marché, malgré tout, tirant parti d’une pénurie dans les livraisons pour établir une tête de pont. Pouvaient-ils l’avoir mal pris ?

Et la bande de Philadelphie ? Ceux-là étaient devenus l’interface entre New York et lui, et il se pouvait qu’ils soient devenus voraces. Peut-être avaient-ils découvert ce qui était arrivé à Billy ?

Peut-être Eddie avait-il décidé d’avancer ses pions, trahissant du même coup Tony et Henry.

Peut-être, peut-être un tas de choses. Quoi qu’il en soit, Henry contrôlait toujours la filière d’approvisionnement. Mais surtout, il devait tenir et défendre coûte que coûte ce qu’il avait, c’est-à-dire son territoire et sa filière. Son réseau commençait tout juste à rapporter vraiment. Il lui avait fallu des années d’efforts pour en arriver là, se dit-il en tournant à droite pour rentrer chez lui. Tout reprendre à zéro impliquait des dangers que l’on n’envisageait pas de gaieté de cœur quand on les avait déjà courus. Trouver une nouvelle ville, monter un nouveau réseau. Et la filière du Viêt-Nam ne tarderait pas à se tarir. Le nombre des corps dont il dépendait déclinait. Le moindre problème risquait de tout flanquer par terre. S’il réussissait à maintenir son affaire, son scénario le plus pessimiste l’amenait à ramasser dix millions de dollars – plus près de vingt, même, s’il la jouait fine – avant de décrocher pour de bon. L’option n’était pas sans attraits. Deux ans de bénéfices élevés pour parvenir à ce stade. Il se pouvait bien qu’il ne puisse pas repartir de zéro. Il faudrait d’abord qu’il résiste et se batte.

Résiste et bats-toi, mon gars. Un plan commençait à se former. Il ferait courir le mot : qu’il voulait Billy et qu’il le voulait vivant. Il en parlerait à Tony et le sonderait pour voir quelles étaient les chances que Billy ait décidé de jouer sa propre partie, qu’il soit en relation avec des rivaux du Nord. Ce serait son point de départ pour recueillir de l’information. Après, il aviserait.

 

*

 

Il y a un coin possible, se dit Kelly. Le Springer avançait au ralenti, en silence. Le truc était de trouver un endroit habité mais sans attirer l’attention. Rien d’excessif dans ces exigences, observa-t-il en souriant. Ce n’étaient pas les méandres du fleuve qui manquaient, et il en avisa justement un. Il scruta soigneusement la rive. On aurait dit une école, sans doute une boîte privée, et aucune fenêtre n’était éclairée. Il y avait une ville derrière, une bourgade assoupie, avec quelques lumières, des voitures qui passaient toutes les deux minutes, sur la route principale, de sorte que personne ne risquait de l’apercevoir.

Il laissa son bateau poursuivre sur son erre et découvrit le reste du méandre. Encore mieux : c’était une ferme, apparemment une plantation de tabac, avec des bâtiments anciens et une de maître imposante, à cinq ou six cents mètres en retrait ; les propriétaires étaient à l’intérieur, profitant de la climatisation. L’éclairage et la lumière de la télé les empêcheraient de voir dehors. Il allait risquer le coup.

Kelly mit les moteurs au ralenti et gagna l’avant pour mouiller un simple grappin. Il agit à gestes rapides et silencieux, mit à l’eau son petit canot et le hala vers l’arrière. Hisser Billy par-dessus le bastingage ne souleva pas de difficulté, mais faire redescendre le corps dans le canot s’avéra impossible. Il retourna en hâte dans la cabine arrière et revint avec un gilet de sauvetage qu’il passa autour du cou de Billy avant de le jeter par-dessus bord. C’était plus facile ainsi. Il attacha le gilet à la poupe. Puis il souqua ferme pour gagner le rivage au plus vite. Il ne lui fallut que trois ou quatre minutes avant que l’étrave du canot ne touche la rive boueuse. C’était bien une école, constata Kelly. Elle avait sans doute un programme d’été et presque à coup sûr du personnel d’entretien qui arriverait dans la matinée. Kelly descendit du canot et tira Billy sur la rive avant doter le gilet de sauvetage.

— Tu vas rester ici, à présent.

— … rester…

— C’est ça.

Kelly remit à l’eau le canot pour regagner son yacht. Sa position de nage l’amena à contempler Billy. Il l’avait laissé nu. Sans identification. Le corps ne portait aucune marque distinctive en dehors de celles créées par Kelly. L’homme avait répété à plusieurs reprises qu’on n’avait jamais relevé ses empreintes. Si c’était vrai, alors la police n’aurait aucun moyen de l’identifier aisément et sans doute ne l’identifierait-elle jamais. D’ailleurs, dans son état, il ne pourrait guère survivre longtemps. Les dégâts cérébraux étaient plus profonds que ce qu’avait prévu Kelly, et cela indiquait que d’autres organes internés avaient dû être sévèrement endommagés. Mais Kelly avait manifesté une certaine pitié, après tout. Les corbeaux auraient peu de chances de lui faire la peau. Juste les toubibs. Bientôt, Kelly regagnait le Springer et continuait à remonter le Potomac.

Deux heures encore et il apercevait le port de la base des Marines de Quantico. Fatigué, il manœuvra avec prudence, choisissant un mouillage à l’extrémité de l’un des quais.

— Qui va là ? demanda une voix dans la nuit.

— Je m’appelle Clark, répondit Kelly. On devrait m’attendre.

— Ah, ouais. Belle embarcation, commenta l’homme en regagnant la cabine de son petit poste de garde. Au bout de quelques minutes, une voiture descendait la colline, en provenance du quartier des officiers.

— Vous êtes en avance, observa Marty Young.

— Autant se mettre en route le plus vite possible, mon général. Vous montez à bord ?

— Merci, monsieur Clark. Il contempla le salon. Comment vous êtes-vous trouvé cette belle bête ? Moi qui dois me contenter d’un méchant petit dériveur.

— Je ne sais trop quoi dire, répondit Kelly. Désolé. Le général Young accepta l’excuse de bonne grâce.

— Dutch dit que vous devez faire partie de l’opération.

— Oui, mon général.

— Sûr de pouvoir vous en tirer ? Young nota le tatouage sur l’avant-bras de Kelly et se demanda ce qu’il dénotait.

— J’ai bossé du côté de Phoenix pendant plus d’un an, mon général. Quel genre de gars se sont engagés ?

— Ils font tous partie des Forces de reconnaissances. On les entraîne dur.

— Vous les tirez du pieu à cinq heures trente ? demanda Kelly.

— Tout juste. J’enverrai quelqu’un vous prendre. Young sourit. Vous aussi, on veut vous voir en bonne forme.

Kelly se contenta de sourire.

— C’est de bonne guerre, mon général.

 

*

 

— Merde, alors qu’est-ce qui est si important ? demanda Piaggi, ennuyé qu’on vienne l’embêter si vite un soir de fin de semaine.

— J’ai l’impression que quelqu’un cherche à me doubler. Je veux savoir qui.

— Oh ? Et c’est ça qui rendait la réunion importante, même si l’horaire était mal choisi, s’avisa Tony. Raconte-moi un peu ce qui s’est passé.

— Quelqu’un est en train de liquider les dealers sur la rive ouest, dit Tucker.

— J’ai lu les journaux, lui assura Piaggi. Il remplit le verre de vin de son invité. C’était dans ce genre de moments qu’il importait de la jouer normale au maximum. Tucker ne ferait jamais partie de la famille à laquelle appartenait Piaggi, mais il n’en restait pas moins un associé de valeur. Pourquoi est-ce si important, Henry ?

— Le même type a descendu deux de mes gars : Rick et Billy.

— Les deux qui…

— Tout juste. Et une de mes filles a disparu également. Il leva son verre et but une gorgée, en fixant Piaggi droit dans les yeux.

— Le vol ?

— Billy avait dans les soixante-dix mille, en liquide. Les flics ont retrouvé l’argent, sur place. Tucker lui donna quelques détails encore. D’après la police, ce serait un vrai boulot de professionnel.

— Tu as d’autres ennemis dans le milieu ? s’enquit Tony. Ce n’était pas une question terriblement futée – tout le monde avait des ennemis, dans le milieu –, mais l’habileté du tueur était le facteur important.

— Je me suis arrangé pour que les flics connaissent mes principaux rivaux.

Piaggi hocha la tête. Cela faisait partie de la pratique courante dans le métier, mais c’était quelque peu risqué. Il écarta l’objection d’un haussement d’épaules. Henry pouvait se conduire en véritable cow-boy, voire être une source de tracas pour Tony et ses collègues. Mais Henry savait se montrer prudent quand il le fallait et l’homme semblait savoir doser ces deux qualités.

— Un règlement de comptes ?

— Les mecs n’auraient pas craché sur une somme pareille.

— Exact, concéda Piaggi. J’ai un tuyau pour toi, Henry. Moi, je ne laisserais pas un tel pacson traîner n’importe où.

Oh, vraiment ? se demanda Tucker, le regard toujours impassible.

— Tony, soit le mec a merdé, soit il cherche à me dire quelque chose. Il a tué sept ou huit zigues, en beauté. Il a liquidé Rick au couteau. J’ai pas franchement l’impression qu’il ait merdé, si tu vois ce que je veux dire ? Le plus curieux, c’est que chaque homme estimait que c’était plutôt l’autre qui serait du genre à le poignarder. Henry avait l’impression que c’était l’arme favorite des Ritals. Piaggi aurait juré que c’était la marque de fabrique des Blacks.

— D’après ce que j’avais entendu, quelqu’un était en train d’abattre les dealers au pistolet – un petit calibre.

— L’un d’eux a été descendu d’une décharge de chevrotine en plein buffet. Les flics mettent le grappin sur tous les clodos, et ils font ça avec soin.

— Pas au courant, admit Piaggi. Cet homme disposait de sources de valeur, mais, d’un autre côté, il vivait plus près de ce quartier de la ville et il était logique que son réseau de renseignements soit plus rapide que celui de Piaggi.

— Ça ressemble à du travail de pro, conclut Tucker. Et un type vraiment bon, tu crois pas ?

Piaggi hocha la tête d’un air entendu, mais il était pris dans un dilemme. L’existence d’habiles tueurs dans la Mafia était pour l’essentiel une invention du cinéma et des séries télévisées. La moyenne des meurtres commis par le crime organisé était certes perpétrée par des professionnels mais qui exerçaient en général d’autres activités lucratives. Il n’y avait pas une catégorie spécifique de tueurs qui passeraient leur temps à attendre patiemment un coup de fil, rempliraient leur contrat, puis regagneraient leur appartement chic pour guetter le coup de téléphone suivant. Il y avait effectivement des spécialistes dans le milieu, plus habiles ou plus expérimentés que d’autres pour tuer, mais ce n’était pas la même chose. Tel ou tel acquérait simplement une réputation d’insensibilité à faire le boulot – et cela garantissait que l’élimination serait effectuée avec un minimum de dégâts, et non pas avec un maximum de talents artistiques. Les véritables psychopathes étaient rares, même au sein de la Mafia, et les assassinats à la va-vite étaient la règle plutôt que l’exception. Aussi, dans la bouche d’Henry le terme « professionnel » signifiait-il un concept qui n’existait qu’au niveau de la fiction, l’image télé de l’homme de main de la Mafia. Mais comment Tony expliquait-il ça, lui ?

— C’est pas un de mes gars, Henry, dit-il après quelques instants de réflexion. Qu’il n’en ait à vrai dire aucun était un tout autre problème, se dit Piaggi, en contemplant l’effet de ses révélations sur son associé. Henry avait toujours fait la supposition que Piaggi en connaissait un rayon question meurtres. Piaggi savait pour sa part que Tucker avait plus d’expérience que lui sur cet aspect terminal du boulot, en tout cas plus qu’il ne désirait jamais en avoir, mais ce n’était qu’une des explications qu’il aurait un jour à lui fournir, et ce n’était manifestement pas le moment. Pour l’instant, il observait le visage de Tucker, cherchant à déchiffrer ses pensées tout en finissant de siroter son verre de chianti.

Comment puis-je savoir s’il dit vrai ? Il n’y avait pas besoin d’être grand clerc pour deviner le cheminement de ses pensées.

— Tas besoin d’un coup de main, Henry ? demanda Piaggi, histoire de rompre un silence qui devenait gênant.

— Je ne pense pas que ce soit toi. Je pense que t’es trop malin, dit enfin Tucker, en finissant son verre.

— Ravi de l’entendre. Tony sourit et les resservit tous les deux.

— Et Eddie ?

— Comment ça ?

— Est-ce qu’il a une chance de devenir un ponte ? Les yeux baissés, Tucker fit tourbillonner le vin au fond de son verre. Un bon point pour Tony, c’est qu’il savait toujours créer le climat propice à une discussion d’affaires. C’était une des raisons pour lesquelles ils avaient été attirés l’un vers l’autre. Tony était calme, sérieux, toujours poli, même quand vous posiez une question épineuse.

— C’est assez délicat, Henry, et je devrais vraiment pas en discuter avec toi. On ne « devient » jamais vraiment un ponte. Tu devrais le savoir.

— Pas de promotion personnelle dans la branche, c’est ça ? Enfin, bon, pas de problème. De toute façon, je sais que je détonnerais un peu. Autant continuer à bosser ensemble, Anthony. Tucker en profita pour sourire, soulager quelque peu la tension et, espérait-il, mettre en condition Tony pour qu’il réponde à sa question. Son vœu fut exaucé.

— Non, dit Piaggi après quelques instants de réflexion. Personne ne croit qu’Eddie a ce qu’il mérite.

— Peut-être qu’il cherche un moyen de le démentir.

Piaggi secoua la tête.

— Je ne crois pas. Dans cette affaire, Eddie va se ramasser un joli paquet. Il le sait très bien.

— Alors qui ? insista Tucker. Qui d’autre en sait suffisamment ? Qui d’autre commettrait des meurtres en série pour dissimuler ce genre de manœuvre ? Qui d’autre s’amuserait à les camoufler en travail de pro ?

Eddie n’est pas assez malin. Piaggi le savait, ou croyait le savoir.

— Henry, éliminer Eddie entraînerait des problèmes graves. Il marqua un temps. Mais je vérifierai.

— Merci, dit Tucker. Il se leva et laissa Tony seul avec son vin.

Piaggi resta assis à table. Pourquoi fallait-il que les choses soient aussi compliquées ? Henry était-il digne de confiance ? Sans doute. Il était son seul lien avec la filière et le rompre risquait de causer des problèmes à tout le monde. Tucker pouvait devenir un type important mais ce ne serait jamais un ponte. D’un autre côté, il n’était pas con, et il fourguait. Dans la filière, il y avait pas mal de gars comme lui, dedans-dehors, vacataires, membres associés, baptisez-les comme vous voulez, dont la valeur et le statut étaient proportionnels à leur utilité. Bon nombre avaient en fait réussi à acquérir plus de pouvoir que certains pontes authentiques mais il restait toujours une différence. Dans une dispute sérieuse, être un ponte comptait pour beaucoup – dans la plupart des cas, c’était même essentiel.

Cela pouvait expliquer bien des choses. Eddie était-il jaloux de la position d’Henry ? Avait-il une envie telle d’être admis au sein du réseau qu’il était prêt à perdre les bénéfices de l’arrangement actuel ? Ça ne tenait pas debout, se dit Piaggi. Mais qu’est-ce qui tenait debout ?

 

*

 

— Ho-hé, du Springer ! lança une voix. Le caporal de Marines fut surpris de voir la porte de cabine s’ouvrir immédiatement. Il s’était attendu à devoir secouer ce… civil… pour le tirer de son lit douillet. Au lieu de ça, il vit sortir un homme en treillis et rangers. Sans être l’uniforme « réglementaire » des Marines, sa tenue s’en rapprochait assez pour montrer que son porteur était sérieux. Le sous-officier remarqua que certains insignes avaient été décousus, à l’endroit d’une étiquette d’identité ou d’une marque quelconque et, quelque part, cela rendait ce M. Clark encore plus sérieux.

— Par ici, monsieur, indiqua le caporal. Kelly le suivit sans un mot.

Ce Monsieur ne voulait rien dire, Kelly le savait. En cas de doute, un Marine aurait appelé « monsieur » un réverbère. Il suivit la jeune recrue jusqu’à une voiture et ils démarrèrent, franchirent le passage à niveau et grimpèrent la colline tandis qu’il rêvait de quelques heures de sommeil supplémentaire.

— Vous êtes le chauffeur du général ?

— Oui, monsieur. Et ce fut là toute leur conversation. Ils étaient à peu près vingt-cinq, debout dans la brume matinale, à s’étirer et bavarder entre eux tandis que les sous-off d’encadrement arpentaient les rangs, traquant l’œil livide et l’expression vague. Toutes les têtes se tournèrent lorsque la voiture du général s’immobilisa. Un homme en descendit. Ils virent qu’il portait une drôle de tenue et se demandèrent qui diable était ce zigue, d’autant plus qu’il ne portait aucun insigne de grade. Il se dirigea droit vers le sergent-chef.

— Vous êtes Gunny Irvin ?

Le sergent-chef artilleur Paul Irvin hocha poliment la tête tout en jaugeant le visiteur.

— Correct, monsieur. Êtes-vous M. Clark ?

Kelly acquiesça.

— Enfin, j’essaie de l’être, à une heure pareille.

Les deux hommes échangèrent un regard. Paul Irvin était sombre et sérieux. Pas franchement aussi menaçant que l’aurait escompté Kelly, il avait les yeux d’un type réfléchi, prudent, comme il sied à un homme de son âge et de son expérience.

— En forme ? demanda Irvin.

— Qu’un moyen de le savoir, répondit « Clark ».

Large sourire d’Irvin.

— Bien. Je vous laisse donner la cadence, monsieur. Notre capitaine est je ne sais où à se branler.

Et merde !

— Bien, on va se dérouiller un peu. Irvin se retourna vers l’escouade, mettant les hommes au garde-à-vous. Kelly prit place du côté droit, au second rang.

— Bonjour, Marines !

— Reconnaissance ! aboyèrent-ils en réponse.

La séance d’échauffement n’avait rien d’une sinécure mais Kelly n’avait pas besoin de se faire remarquer. Il observa toutefois Irvin avec soin ; l’homme se prenait de plus en plus au sérieux, accomplissant les exercices comme une espèce de robot. Une demi-heure plus tard, ils étaient tous effectivement dérouillés et Irvin les fit se remettre au garde-à-vous en préparation de leur parcours d’entraînement.

— Messieurs, je voudrais vous présenter un nouveau membre de notre équipe. M. Clark. Il conduira l’entraînement avec moi.

Kelly prit sa place et glissa, dans un murmure :

— Je ne sais foutre pas où on va.

Irvin eut un sourire mauvais.

— Pas de problème, monsieur. Vous n’aurez qu’à nous suivre dès que vous vous retrouverez à la traîne.

— Passe devant, tête de mule, rétorqua Kelly, sur le même ton. On était entre pros.

Quarante minutes plus tard, Kelly menait toujours le train. Rester en tête lui permettait de fixer le rythme et c’était le seul avantage. Ne pas trébucher était son autre souci principal, et ça devenait difficile car avec la fatigue, ce sont ces contrôles délicats qui pâtissent en premier.

— À gauche, gauche ! dit Irvin en tendant le doigt. Kelly n’aurait pu deviner qu’il aurait besoin de dix secondes pour retrouver assez de souffle pour parler. Sans oublier qu’il avait la charge de chanter la cadence. Le nouvel itinéraire, un simple chemin de terre, les mena dans la pinède.

Des bâtiments. Bon Dieu, j’espère que c’est enfin notre destination. Même ses pensées étaient hachées maintenant. Le sentier sinuait un peu mais il avisa des voitures et ce qui devait être… quoi ? Il faillit s’arrêter, de surprise, et de son propre chef, il lança : « Au pas gymnastique, marche ! » pour ralentir la formation.

Des mannequins ?

— Section, halte ! lança Irvin. Avant d’ajouter : Repos !

Kelly toussa deux ou trois fois, légèrement penché en avant. Il bénissait ses séances de jogging dans le parc et autour de son île qui lui avaient permis de survivre à cet exercice matinal.

— Un peu lent, fut le seul commentaire que se permit Irvin.

— Bonjour, monsieur Clark. Un des véhicules était donc vrai, nota Kelly. James Greer et Marty Young lui faisaient signe d’approcher.

— Bonjour. J’espère que vous avez bien dormi, leur dit Kelly.

— Vous étiez volontaire, John, remarqua Greer.

— Z’ont mis quatre minutes de plus, ce matin, observa Young. Enfin, pas mal pour un bleu, malgré tout.

Kelly se retourna, à moitié écœuré. Il lui fallut une bonne minute pour comprendre où il se trouvait.

— Merde !

— Voilà votre colline, indiqua Young.

— Les arbres ici sont plus hauts, nota Kelly en estimant la distance.

— La colline aussi. C’est une esquisse.

— Ce soir ? Il n’était pas difficile de deviner le sens des paroles du général.

— Vous pensez être à la hauteur ?

— Je suppose qu’on aura besoin de le savoir. Pour quand la mission est-elle prévue ?

Greer intervint :

— Vous n’avez pas besoin de la date pour l’instant.

— Quel délai de préparation aurons-nous ?

L’officier de la CIA soupesa la question avant de répondre.

— Trois jours avant le départ. Nous examinerons les paramètres de mission dans quelques heures. En attendant, regardez comment se débrouillent ces hommes. Greer et Young regagnèrent leur voiture.

— À vos ordres, répondit Kelly dans leur dos. Les Marines étaient en train de préparer du café. Il prit une tasse et se mêla aux hommes du peloton.

— Pas mal, dit Irvin.

— Merci. J’ai toujours considéré que c’était un des trucs les plus importants à savoir dans ce métier.

— Quoi donc ?

— Comment détaler le plus loin et le plus vite possible.

Irvin rigola, puis vint le moment de la première corvée de la journée, un truc qui permit aux hommes de décompresser tout en rigolant eux aussi un bon coup. Il s’agissait de déplacer les mannequins. C’était devenu un rituel, quelle bonne femme allait avec quels gosses. Ils avaient découvert qu’on pouvait donner des poses aux modèles, et les Marines ne s’en privaient pas. Deux d’entre eux avaient apporté des habits de rechange, à chaque fois de simples bikinis qu’ils s’empressèrent, avec force mines, de passer à deux des silhouettes féminines allongées. Kelly les regarda faire avec une surprise incrédule, puis il se rendit compte qu’on avait poussé le souci du réalisme jusqu’à… peindre le corps des mannequins. Seigneur, et on dit que les marins sont vicieux !

 

*

 

L’USS Ogden était un bâtiment neuf, sorti des chantiers navals de New York en 1964. Long de cent soixante-seize mètres, il avait une silhouette assez inhabituelle. Si la moitié avant de la superstructure était à peu près normale, avec ses huit canons antiaériens, la partie arrière était plus étrange : plate sur le dessus, creuse en dessous. La plate-forme permettait l’atterrissage des hélicoptères et, juste au-dessous, il y avait un radier, sorte de bassin intérieur qu’on pouvait emplir d’eau pour manœuvrer une péniche de débarquement. Ce bâtiment et ses onze sister-ships avaient été conçus pour soutenir les opérations de débarquement, déposer à terre un bataillon de Marines dans le cadre de ces opérations d’assaut amphibies que le Corps avait inventées dans les années 20 et perfectionnées dans les années 40. Mais la flotte de navires d’assaut amphibies du Pacifique était privée d’affectation aujourd’hui – les Marines étaient directement amenés à terre, ils arrivaient en général à bord d’appareils civils réquisitionnés qui allaient se poser sur des aéroports classiques – aussi une partie de ces bâtiments étaient-ils reconvertis pour d’autres missions. C’était le cas de l’Ogden.

Des grues étaient en train de charger des semi-remorques sur le pont d’envol. Dès qu’elles furent solidement arrimées, des matelots entreprirent de dresser toute une série d’antennes radio. D’autres équipements similaires étaient boulonnés en divers emplacements de la superstructure. Toute cette activité se déroulait au grand jour – il est difficile de dissimuler un bâtiment de guerre de 17 000 tonnes – et il était clair que l’Ogden, comme deux autres bâtiments similaires, était en cours de transformation en ELINT, une plate-forme d’acquisition de renseignements par surveillance électronique. Il quitta la base navale de San Diego juste comme le soleil commençait à se coucher, avec un escorteur mais sans le bataillon de Marines qu’il était prévu d’embarquer. Ses trente officiers et quatre cent quatre-vingt-dix hommes d’équipage s’attelèrent aussitôt à leur mission de surveillance routinière, effectuant leurs exercices d’entraînement, bref, accomplissant les tâches auxquelles on pouvait s’attendre quand on s’était engagé dans la Marine plutôt que de risquer la loterie de la conscription. Au crépuscule, le bâtiment était largement sous l’horizon et la teneur de sa nouvelle mission avait été communiquée aux diverses parties intéressées qui toutes n’étaient pas alliées du pavillon que battait le navire. Avec toutes ces remorques et la vingtaine d’antennes ressemblant à des souches d’arbres brûlés qui encombraient son pont d’envol – et pas un seul Marine à bord –, il ne constituait visiblement une menace directe pour personne. C’était évident pour quiconque aurait pu l’observer.

Douze heures plus tard, et deux cent milles au large, les quartiers-maîtres rassemblèrent une partie de l’équipage et demandèrent à des jeunes matelots passablement perplexes de déboulonner les ancrages de toutes les remorques – qui étaient vides – sauf une, et de démonter l’ensemble des antennes qui encombraient le pont d’envol. Celles fixées à la superstructure resteraient en place. Les antennes démontées descendirent à la cale en premier, dans les vastes soutes à matériel. On y poussa ensuite les remorques vides, ce qui permit de dégager entièrement la plate-forme d’appontage.

 

*

 

À la base navale de Subic Bay, le commandant de l’USS Newport News, son second et son officier de tir examinèrent leurs missions pour le mois à venir. Le bâtiment était l’un des derniers authentiques croiseurs encore en service dans le monde, avec ses canons de 203 mm comme en avaient bien peu d’autres unités. Semi-automatiques, leur charge propulsive n’était pas conditionnée en sacs isolés mais sous la forme de cartouches chemisées en laiton qui différaient seulement par la taille de celles que tout chasseur de chevreuil pourrait charger dans sa carabine Winchester de calibre 7,62 mm. Disposant d’une portée de près de trente kilomètres, le Newport News avait une puissance de feu assez redoutable, comme un bataillon de l’armée nord-vietnamienne avait pu l’apprendre à ses dépens moins de quinze jours plus tôt. Cinquante balles par tube et par minute. Le canon central de la tourelle numéro deux avait été endommagé, de sorte que le croiseur ne pouvait plus déverser que quatre cents projectiles à la minute sur son objectif, mais cela restait l’équivalent de cent bombes de cinq cents kilos. Pour son prochain déploiement, apprit le capitaine, le croiseur devrait s’attaquer à un certain nombre de batteries antiaériennes installées sur la côte vietnamienne. Ça lui convenait parfaitement, même si la mission qu’il brûlait d’accomplir était d’entrer de nuit dans le port d’Haiphong.

 

*

— Ton gars a l’air de connaître son affaire – jusqu’à présent, du moins, observa le général Young, aux alentours de deux heures et quart.

— C’est beaucoup lui demander de faire une chose pareille dès la première nuit, Marty, rétorqua Dutch Maxwell.

— Enfin, merde, s’il veut jouer avec mes Marines… Young était comme ça. Ils étaient tous « ses » Marines. Il s’était envolé de Guadalcanal en compagnie de Foss, il avait couvert le régiment de Chesty Puller en Corée, et il était de ces hommes qui avaient perfectionné l’appui tactique aérien pour en faire la véritable forme d’art qu’il était devenu aujourd’hui.

Ils se trouvaient au sommet de la colline qui dominait le site récemment construit par Young. Quinze Marines étaient postés sur les pentes et leur mission était de détecter et d’éliminer Clark alors qu’il cherchait à atteindre son perchoir imaginaire. Même le général Young jugeait que le test était rude pour la première journée de Clark au sein de l’équipe, mais Jim Greer ne s’était pas privé de lui vanter les qualités de son gars et les civils avaient toujours besoin d’être remis en place. Même Dutch Maxwell était d’accord là-dessus.

— Quelle façon merdique de gagner sa vie, observa l’amiral qui avait dix-sept cents appontages à son actif.

— Celle des lions, des tigres et des ours, rétorqua Young dans un rire. Sapristi ! J’imagine pas vraiment qu’il y arrivera du premier coup. On a quelques bons éléments dans cette unité, pas vrai, Irvin ?

— Oui, mon général, approuva aussitôt le sergent-chef artilleur.

— Alors, qu’est-ce que vous pensez de Clark ? demanda ensuite Young.

— M’a l’air de connaître deux-trois trucs, admit Irvin. Plutôt en bonne forme pour un civil – et puis, j’aime bien son regard.

— Oh ?

— Vous avez noté, mon général ? Il a le regard froid. Il n’est pas né de la veille. Ils s’entretenaient à voix basse. Kelly était censé arriver ici mais ils ne voulaient pas que le son de leur conversation lui facilite la tâche, ou n’ajoute des bruits inopportuns susceptibles de masquer les murmures des bois. Mais ce soir, ce ne sera pas son jour, ajouta le sous-officier. J’ai bien prévenu mes gars de ce qui arriverait si jamais ce type franchissait les lignes du premier coup.

— Vous ne savez donc pas jouer franc-jeu, dans les Marines ? objecta Maxwell en dissimulant un sourire. Irvin lui répondit du tac au tac :

— Amiral, « franc-jeu », ça veut dire que tous mes gars rentrent chez eux vivants. Rien à cirer des autres, si vous me passez l’expression.

— Marrant, sergent, mais ça a toujours été ma définition, moi aussi. Ce gars aurait fait un sacré major, observa Maxwell, sans rien dire.

— Tu suis le championnat de base-ball, Marty ? Les hommes se détendirent. Impossible que Clark puisse y arriver.

— Je crois que les Orioles sont imbattables, cette année.

— Messieurs, il me semble que nous perdons notre concentration, suggéra Irvin, sur un ton diplomate.

— Absolument. Veuillez nous excuser, répondit le général Young. Les deux officiers généraux retombèrent dans le silence, regardant les aiguilles lumineuses de leurs montres progresser vers le trois de l’heure convenue pour interrompre l’exercice. Durant tout ce temps, ils n’entendirent pas une seule fois la voix, ou même la respiration d’Irvin. Cela dura une heure. Une heure assez confortable pour le général des Marines, mais l’amiral n’appréciait pas trop d’être dans les bois, avec tous ces insectes qui lui suçaient le sang, et sans doute des serpents et toutes sortes de bestioles désagréables qu’on ne rencontrait pas d’habitude dans le poste de pilotage d’un chasseur. Ils écoutèrent la brise murmurer dans les pins, entendirent le froissement d’ailes de chouettes, de chauves-souris et peut-être d’autres volatiles nocturnes, et guère autre chose. Finalement, leur montre marqua deux heures cinquante-cinq. Marty se leva et s’étira, plongeant la main dans sa poche à la recherche d’une cigarette.

— Quelqu’un aurait une clope ? Je suis à court, et je m’en fumerais bien une, murmura une voix.

— Tenez, Marine, dit le général Young, aimablement. Il tendit une cigarette vers l’ombre et battit son fidèle Zippo. Puis il sursauta, recula d’un pas. Merde !

— Personnellement, général, je crois que Pittsburgh est meilleur cette année. Les Orioles sont un tantinet faibles, côté lanceurs. Kelly tira une bouffée, sans inspirer la fumée, puis il écrasa par terre la cigarette.

— Depuis combien de temps êtes-vous ici ? demanda Maxwell.

— Les lions, les tigres et les ours, sapristi ! imita Kelly. J’ai « tué » aux alentours d’une heure et demie, monsieur.

— L’enculé ! ! s’exclama Irvin. C’est moi que vous avez tué.

— Et vous avez eu la politesse de rester silencieux.

Maxwell alluma sa lampe torche. M. Clark – l’amiral avait délibérément décidé de débaptiser le garçon, même mentalement – se tenait devant eux, un couteau à lame de caoutchouc dans la main, le visage maquillé d’ombres vertes et noires, et pour la première fois depuis la bataille de Midway, il sentit son corps frissonner de peur. Le jeune visage se fendit d’un sourire tandis qu’il rengainait son « couteau ».

— Comment diable avez-vous fait ça ? insista Dutch Maxwell.

— Plutôt bien, je pense, amiral. Kelly étouffa un rire et se pencha pour saisir la gourde de Marty Young. Général, si je vous disais comment, tout le monde serait capable de faire pareil, pas vrai ?

Irvin se leva pour rejoindre le civil.

— Monsieur Clark… Monsieur, je pense que vous ferez l’affaire.

Sans aucun remords
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